Les carnets secrets de François Hollande, dernières pages: «Mon successeur, mon héritier...»
Depuis le 6 mai 2015, toutes les semaines, F.H. a raconté la petite chronique du quinquennat Hollande. Derrière ces initiales se cachait un fin observateur de la gauche française, assez introduit dans l’entourage présidentiel pour ne rien ignorer (ou presque) de ce qui se tramait dans le bureau (et dans la tête) du chef de l’Etat. François Hollande quitte l’Elysée ; F.H. abandonne les colonnes de l’Opinion. Voici sa dernière chronique.
Ça ne durera pas mais quelle importance ? Depuis quelques jours, Emmanuel et moi, on ne se quitte plus et c’est un pur bonheur. Lundi, je l’ai emmené voir l’Arc de triomphe. J’ai aimé qu’ensemble, main dans la main, nous rallumions la flamme. Mercredi, on est allé se promener tous les deux au jardin du Luxembourg. Si on avait eu plus de temps, on aurait même pu faire un petit tour de manège ou aller voir Guignol. Sauf erreur de ma part, nous avons rendez-vous à l’Élysée, dimanche matin, à l’heure de l’apéro et si le ciel s’y prête, on ira faire quelques pas dans le parc du Palais, histoire de nous remémorer, une fois encore, les plus belles pages de notre compagnonnage.
Comment ai-je pu vivre si longtemps sans lui ? Depuis qu’il était parti de mon gouvernement, en septembre, Emmanuel me battait froid. Je ne sais pas bien pourquoi – sans doute de mauvaises influences dans son entourage – mais il avait cessé de me téléphoner à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Plus un texto, plus un message. Rien ! Parfois, je l’apercevais à la télé et je voyais bien qu’il était très occupé. Pour ne pas le gêner, longtemps, j’ai préféré me taire. Mais désormais, c’est fini ! « Regarde, quelque chose a changé, l’air semble plus léger, c’est indéfinissable ». Ce matin, en me levant, cette chanson de Barbara, allez savoir pourquoi, me trottait dans la tête. Puis sous une douche brûlante, j’ai chanté à plein poumon. D’habitude, c’est du Stéphanie de Monaco : « Comme un ouragan qui passait sur moi… » Là, c’était l’Hymne à la joie.
Je n’ai pas été battu, je ne me suis pas représenté. Nuance… Je ne rends pas les clés, je passe le témoin
Principes de base. Vous avez vu comment je fais en ce moment avec Emmanuel ? Je le touche, je le tripote, je le prends par le bras, je pose ma main sur son épaule, je le couve du regard. Je le conseille aussi à mots couverts. Par ici, mon garçon. Fais attention à la marche. Dis bonjour à la dame. Salue le monsieur avec son drapeau. Tiens-toi droit. Vérifie ton nœud de cravate. Souris surtout à la caméra. C’est d’ailleurs curieux que je sois obligé de lui rappeler ces principes de base de la communication présidentielle. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans la vie d’Emmanuel, mais je le trouve un peu guindé, ces derniers temps.
Il était autrefois la séduction incarnée et voilà qu’il me semble tout à coup sur ses gardes. Lorsqu’on s’est retrouvé à l’Arc de Triomphe, j’étais tellement content que j’ai failli l’embrasser. Lui m’a tendu la main d’un air pincé. Je crois en fait qu’il était un peu fatigué. D’après Jouyet, il avait fait la fête jusqu’à l’aube. C’est beau d’être jeune ! Il faudra quand même que lui dise de se ménager. S’il continue à ce rythme, il ne tiendra pas la distance. Moi, je sais désormais d’expérience : cinq ans, c’est très long et c’est peut-être pour ça que je n’en ai pas fait dix !
Cela dit, je comprends qu’Emmanuel profite de ces instants de félicité. Un jour, il comprendra mieux ce qu’ils avaient de rares. Etre président, c’est tellement bon que j’ai d’ailleurs voulu le rester jusqu’au dernier jour de mon mandat. D’autres, avant moi, ont quitté l’Élysée la mine basse, comme s’ils avaient déjà un pied dans la tombe. Pour ce qui me concerne, c’est différent. Je n’ai pas été battu, je ne me suis pas représenté. Nuance… Je ne rends pas les clés, je passe le témoin. Ça n’est quand même pas tout à fait la même chose. Oh, je vois bien qu’Emmanuel ne veut pas que je le dise trop haut. Ce garçon est d’une pudeur incroyable. Pour ne pas me faire de l’ombre, il fait tout pour se tenir à distance. A la réflexion, c’est peut-être pour ça qu’il avait fait mine de reprendre sa liberté, depuis un an. Il voulait s’émanciper et en même temps, il ne voulait pas qu’on dise qu’il était un héritier ordinaire. J’ai laissé faire. Parfois, ça a été dur mais quand je vois aujourd’hui le résultat, je ne regrette rien.
Il m’est arrivé de douter. Parfois, j’ai eu peur de réussir. Mais à chaque fois, je suis parvenu à tout gâcher
Maintenant que tout est terminé, je peux bien l’avouer. J’ai tout fait pour qu’Emmanuel me succède un jour. Dès que je l’ai nommé secrétaire général adjoint de la maison, en mai 2012, je savais qu’après moi, ça serait lui. Mais pour que l’opération réussisse, il fallait que je loupe tout, systématiquement. Seule l’évidence de mon échec pouvait construire ses succès à venir. Je ne veux pas me vanter mais personne ne pourra dire que je n’ai pas fait preuve durant mon quinquennat d’une incroyable persévérance. Il m’est arrivé de douter. Parfois, j’ai eu peur de réussir. Mais à chaque fois, je suis parvenu à tout gâcher. Dieu sait s’il en faut du talent pour rester aussi longtemps impopulaire et ne jamais rien faire pour redresser la barre.
Appétit carnassier. Toute la lumière, je l’ai laissée volontairement à d’autres. La logique aurait été qu’à ce jeu, un homme de droite me succède. Il a fallu que je sois d’un sang-froid absolu pour qu’au bout du compte, ce soit l’inverse qui arrive. Organiser l’alternance, c’est facile. S’offrir à la trahison pour qu’au final rien ne change, c’est une autre paire de manches. Il me fallait un complice. Emmanuel, dans ce rôle, a été remarquable du début à la fin. J’avais détecté tout de suite son appétit carnassier. Même dans mes plus beaux rêves, je n’imaginais pourtant pas que, dans cet art si subtil qu’on appelle la déloyauté, il puisse me servir mieux encore que ce brave Manuel. Chapeau bas !
Je laisse derrière moi bien mieux qu’un successeur. Mon héritier est un survivant. En cela, il est incomparable
A l’heure où il me faut prendre congé des Français et de mes lecteurs par la même occasion, c’est à Emmanuel que je pense donc en priorité. Demain, je serai retraité. J’ai 62 ans et, surtout quand on est de gauche et qu’on a eu une carrière pénible, c’est l’âge auquel il convient de partir. Je laisse derrière moi bien mieux qu’un successeur. Mon héritier est un survivant. En cela, il est incomparable. Aujourd’hui, lorsque je me retourne, je ne vois que des cadavres ou des grands brûlés qu’on ne reverra pas de sitôt. Sarko, Juppé, Fillon, Valls, Barto, Ségo, Duflot, Camba, Hamon, les socialistes et leur parti, les républicains et leur maison commune, j’en passe et des meilleurs ! Avec moi, même la République et l’Europe ont été à deux doigts de mourir.
Un jour, je raconterai peut-être dans un livre que, cette fois, je signerai moi-même, l’histoire de cette hécatombe qui est mon vrai bilan. Comme je suis, quoi qu’on en dise, un homme prudent, j’ai d’ailleurs fait savoir à Emmanuel que, dimanche, je ne souhaitais pas qu’il me raccompagne jusqu’à ma voiture. Si tout se passe pour une fois comme prévu, on se quittera donc sur le perron de l’Élysée après s’être embrassé s’il le veut. Mais pour le reste, méfiance. Un accident est si vite arrivé. Je ne voudrais pas qu’à la dernière minute, comme dans un résumé de mon règne, celui qu’on dit mon enfant vienne me pousser dans l’escalier…